Hôpital de Fontainebleau : mise au point

Publié le par Fédération M'PEP 77

Hôpital de Fontainebleau : mise au point.

 

L'Agence régionale de la santé (ARS) a annoncé en avril dernier l'abandon du projet de Partenariat public-privé (PPP). La libéralisation de l'hôpital public a t-elle été enfin mise en échec à Fontainebleau ? Peut-on espérer une amélioration des services rendus à la population et une amélioration des conditions de travail des personnels ?

 

La fédération du M'PEP de Seine et Marne est impliquée dans la défense de l'hôpital de Fontainebleau depuis 2011. Cet hôpital, comme tous les hôpitaux de France, est victime d'attaques qui visent à « libéraliser » (privatiser) le système de Santé. Ces attaques prennent plusieurs formes :

 

  • tentatives de regroupement avec le secteur privé à travers un « partenariat » public-privé (PPP) ;

  • affaiblissement de l'offre de soin - qui profite indirectement à l'offre privée existante ;

  • « mutualisations de moyens » techniques et humains de l'hôpital avec la clinique privée et la médecine de ville.

 

Des mesures politiques et juridiques rendent possibles ces attaques :

 

  • l'endettement artificiel de l'hôpital par la « tarification à l'acte » (T2A) mis en place par la majorité précédente ;

  • la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a grandement diminué les moyens de financement des services publics par la puissance publique ;

  • le droit européen qui affaiblit juridiquement l'ensemble des services publics français à travers – notamment - la « directive service » ;

  • les règles du commerce international orchestrées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui visent à la marchandisation de tous les services.

 

Le projet de PPP de Fontainebleau prévoyait une fusion de l'Hôpital avec la clinique privée dite « de la forêt », à l'occasion de la construction d'un nouvel ensemble hospitalier sur le site dit du « Bréau ». Son abandon est donc une bonne nouvelle dans la mesure où il répond à la première revendication du CDHPF.

 

L'abandon de ce projet ne ressemble pourtant pas à une victoire.

 

D'abord, la mobilisation contre ce projet a été très limitée depuis plus un an et demi. Si l'annulation du PPP n'est pas une victoire des défenseurs du service public hospitalier, quelles sont les motivations de l'ARS dans cette décision ? Deux hypothèses sont à privilégier :

 

  • des luttes de clans au sein de l'UMP ;

  • un projet insuffisamment libéral au goût de l'ARS.

 

La première hypothèse repose sur le fait que F. Valletoux, maire de Fontainebleau et président de la Fédération hospitalière de France, principal artisan de ce projet, n'a pas été investi par son propre parti pour les élections législatives. Il n'est donc pas impossible que dans cette affaire on assiste en fait à un lavage de linge sale en famille.

 

La seconde hypothèse repose sur un courrier que l'ARS a adressé dès février au président de l'hôpital [1]. L'agence donne quatre raisons à l'annulation du PPP que tout bon connaisseur du jargon libéral pourra traduire ainsi :

 

  • le montage financier du projet ne garantissait finalement pas à la partie privée une affaire suffisamment juteuse ;

  • la concurrence organisée en interne pour une même spécialité entre partie publique et partie privée ne garantissait pas au privé d'être suffisamment attractif (en substance : pourquoi conserver ces activités dans la partie publique ?) ;

  • l'engagement financier de l’État à hauteur de 60 millions d'euros était incompatible avec le dogme de l'austérité budgétaire adopté depuis la crise de 2008.

 

On ne peut de toute façon pas attendre de l'ARS, agence mise en place par Sarkosy, qu'elle ait annulé le PPP dans le but de préserver le service public. Dans ce même courrier, elle rappelle d'ailleurs que le renforcement de l'offre de soin privée est « l'un de ses objectifs prioritaires ».

 

Enfin, la publication d'un certain nombre d'enquêtes sur les PPP a quelque-peu écorné leur image dans l'opinion publique [2]. Toutes font le constat du caractère scandaleusement défavorable au public (et scandaleusement favorable au privé) des PPP déjà engagés.

 

La libéralisation du service public hospitalier se poursuit sans faiblir.

 

Depuis l'abandon du PPP, il est question d'une réhabilitation partielle des locaux actuels. Ce projet, s'il était confirmé, ne constituerait pas une garantie contre une éventuelle privatisation des murs (comme cela a été le cas à l'hôpital d'Evry-Corbeil), ni le signal que les autres processus de libéralisation seront remis en cause. Or ces mesures ont déjà des conséquences désastreuses pour les usagers de l'hôpital et pour les conditions de travail du personnel.

 

La machine libérale tourne à plein régime et il suffit de regarder ce qui se passe un peut partout sur le territoire pour comprendre que l'avenir de chaque hôpital ne se joue pas localement . Quelques éléments significatifs :

 

  • il ne se passe pas un mois sans qu'une structure hospitalière soit menacée. Ces dernières semaines ont vu la suppression des services d'urgence à l'hôpital de Pont à Mousson (54), la « restructuration » à Freyming Merlebach (Moselle), les menaces sur le "Mas Careiron", hôpital psychiatrique d'Uzès (Gard), etc. Le changement de majorité n'a rien changé : dans les hôpitaux, le feu est partout. On compte toujours autant de fermetures de centres et de décisions politiques affectant le fonctionnement des centres hospitaliers. Les responsables politiques montrent des signes de fébrilité devant les actes de résistances qui se multiplient. Dernière sanction en date : le Dr Gérald Kierzek, responsable du SMUR de l'Hôtel Dieu-Pars a été relevé de ses fonctions pour avoir exprimé son désaccord avec le projet de fermeture des urgences et avoir animé son comité de défense [3]. Une pétition circule pour que cette mesure disciplinaire soit levée [4].

 

  • la RGPP de Chirac/Sarkozy a été remplacée par le CIMAP (Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique) de Hollande, sans que rien ne soit changé dans l'esprit ni dans les objectifs du précédent. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, le dernier rapport de ce comité annonce des attaques supplémentaires contre les services publics [5] ;

 

  • la ministre Le Branchu annonce un projet de loi qui vise à « réformer » le statut des fonctionnaires [6]. Les personnels hospitaliers seront impactés par ce qui s'annonce comme une nouvelle atteinte à leur statut ;

 

  • le gouvernement vient d'éditer une très importante brochure « de cadrage » dans laquelle il rappelle ce que le droit européen entend par « services d'intérêt économique général » (SIEG). [7] Ce texte montre à qui en doutait encore que pour les "socialistes" au pouvoir, la page des services publics français doit être tournée. Les références faites au droit européen – qui ne reconnaît pas les services publics français [8] – sont innombrables, effaçant de facto le droit national en la matière. Le gouvernement actuel reprend donc à son compte ce qu'a fait le gouvernement précédent, esquivant tout débat public et rappelant à l'ordre tous ceux qui avaient cru possible d'exclure par une loi nationale un certain nombre de services de la logique marchande de l'Union européenne.

 

  • depuis le 8 juillet, le gouvernement participe aux négociations entre l'Union européenne et les États unis en vue de la création d’un « partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (PTCI). Ainsi qu’il est inscrit à plusieurs reprises dans le mandat des négociateurs européen, « l’accord vise à améliorer l’accès mutuel aux marchés publics ». Il s'agirait donc de mettre en place une « directive service » à l'échelle intercontinentale, alors que la directive européenne lamine déjà les système hospitaliers publics dans tous les pays membres de l'Union européenne.

 

Y voir clair.

 

Qui est « contre » l'hôpital public ? Qui est « contre » les services publics ? Ni le directeur de l'hôpital, ni l'ARS, ni monsieur Valletoux, ni les différents élus locaux, ni la ministre Touraines... ni les principaux actionnaires des groupes hospitaliers privés ! Bien entendu... A écouter les uns et les autres, de l’extrême gauche à l'extrême droite, on a l'impression que tout le monde agit pour défendre le service public hospitalier ! Mais à l'image des gouvernements successifs qui « réforment » (attaquent !) le système de retraite en nous expliquant que c'est pour mieux le « sauver », nombre d'acteurs politiques et institutionnels tentent de brouiller les pistes en jouant sur la définition des termes « services » et « publics ».

 

 

En la matière, le M'PEP se réfère à la définition qu'en a donné le Conseil national de la résistance (CNR) à la fin de la seconde guerre mondiale [9]. Cette définition permet d'y voir clair. Ni les « services d'intérêts généraux » européens, ni les « services » au sens où l'entendent l'OMC et les États-Unis ne correspondent à cette définition, car ils considèrent que la Santé, l’Éducation, les Transports, l’Énergie (etc.) ne sont que de vulgaires « marchés », sources de profits pour les acteurs financiers.

 

Or, les libéraux français - qu'ils soient UMP, PS ou EELV sont les agents zélés de cette machine depuis des décennies. Ils ont leur équivalent partout en Europe. Ils sont le bras politique des classes dominantes en Europe. Ce sont eux qui au cours des quarante dernières années ont construit les diverses institutions politiques ultra-libérales qui décident aujourd'hui de tout sans demander leur avis aux populations : Union européenne, Fond monétaire international (FMI), Banque mondiale, OMC, OCDE etc.

 

Ces institutions politiques mettent en œuvre ce qu'on appelle la « mondialisation ». Cette mondialisation n'a rien à voir avec un « internationalisme » généreux et pacifique. Souvent, elle est confondue avec le développement des nouvelles technologies de la communication (Internet). Mais quand ils parlent de « mondialisation », les libéraux parlent en fait de la libre circulation des marchandises et des capitaux entre les pays. Pour la réaliser, ils procèdent notamment à l'effacement des barrières douanières entre les pays. Ils appellent cela le « libre échange ». La conséquence en est principalement la mise en concurrence des salariés des différents pays les uns avec les autres.

 

Concrètement, les biens et les services qui sont produits par les salariés français sont donc mis en concurrence avec les biens et les services produits par les autres salariés, dont les salaires et les lois sociales et environnementales sont bien moins développées qu'en France. Les conséquences en sont désastreuses :

 

- des délocalisations ayant pour conséquence un chômage massif ;

- des salaires et des lois sociales et environnementales françaises tirées vers le bas au prétexte de faire en sorte que les biens et les services français restent « compétitifs » sur le grand marché mondialisé ;

- une baisse des rentrées fiscales due au chômage ;

- une hausse des dépenses liées au traitement social du chômage ;

- une baisse des rentrées fiscales due aux baisses d'impôts consenties aux plus riches au prétexte de vouloir maintenir leur capitaux en France ;

- un endettement généralisé lié au manque de rentrées fiscales et aux pratiques usuraires des banques privées qui sont les seules à pouvoir « prêter » de l'argent aux états.

 

Les hôpitaux - qui sont une composante du système social français – subissent donc l'érosion de celui-ci, au même titre que la sécurité sociale, le système de retraite et les grandes entreprises de service public.

 

Alors que faire ?

 

Voilà cinq années que le M'PEP dénonce inlassablement la nocivité des institutions ultra-libérales et particulièrement de l'Union européenne. La Coordination nationale des collectifs de défense des hôpitaux et maternités de proximité vient elle aussi, après cinq années de tergiversations, de reconnaître cette nocivité puisqu'elle invite à signer une pétition [10] pour faire échec à la « directive service ». Le M'PEP vous invite à la signer et à la faire signer autour de vous.

 

Cependant, cela ne suffira pas. Dans le carcan libéral européen, on le sait bien, si l'on chasse une directive par la porte, elle revient rapidement par la fenêtre ! La preuve en est que la « directive service » est en réalité la directive « Bolkenstein » dont la perspective avait pourtant provoqué une forte émotion chez les citoyens français en 2005. Cette directive, à peine modifiée, a été inscrite dans le traité de Lisbonne que la grande majorité de la classe politique française de droite et de « gauche » à voté à la demande de Sarkozy, en 2007, contre le peuple qui avait dit NON en 2005 ! Quant aux aspects de la directive Bolkenstein qui avaient été retirés face à l'émotion qu'ils avaient suscités, ils reviennent maintenant sur la table !

 

Non, c'est de tout le système libéral européen dont il faut extraire notre pays ! Dans une première étape indispensable, les citoyens français, devant la dépossession dont ils sont victimes, notamment celle de leurs services publics - doivent se battre pour reprendre en main le destin de leur pays, en lui redonnant sa souveraineté perdue vis-à-vis de l'Union européenne. Les directives, les lois et les traités de cette technocratie européenne n'ont aucune légitimité démocratique, et sa monnaie plonge les peuples dans une austérité sans fin.

 

Pour cela, il ne faut plus tergiverser : la France doit sortir de l'euro et de l'Union européenne.

 

 

Notes

 

[1] Courrier diffusé sur le blog d'un conseiller municipal de Fontainebleau : http://www.cedric-thoma.fr/2013/07/08/abandon-du-projet-dhopital-au-breau-f-valletoux-savait-avant-detre-reelu-a-la-federation-hospitaliere-de-france/

 

[2] En Ile de Francepar exemple, le cas très polémique du PPP de l'hôpital d'Evry-Corbeil qui doit faire l'objet d'un rapport parlementaire en septembre 2013.  

 

[3] http://www.liberation.fr/societe/2013/07/10/gerald-kierzek-je-n-ai-pas-a-me-taire_917317

 

[4]http://www.petitions24.net/soutien_au_dr_kierzek_responsable_medical_du_smur_lhotel-dieu

 

[5] Voir par exemple le communiqué de la Fédération des fonctionnaires CGT du 23 juillet 2013 : http://www.equipement.cgt.fr/IMG/pdf/COMMUNIQUE_CGT_ATE_ET_CIMAP_24_07_2013.pdf

 

[6] Extrait d'un texte de la CGT Finances : « Dans le cadre de l’acte III de la décentralisation, des missions relevant actuellement de la Fonction Publique d’État seraient transférées aux grandes métropoles, avec toutes les conséquences que cela entraînera nécessairement sur la gestion des personnels et sur le statut auquel ils sont rattachés. A titre d’exemple, dans le cadre de la loi créant l’Eurométropole de Lyon, la fiscalité relèvera de cette structure, détachée de la République et directement rattachée à Bruxelles, l’Union Européenne. C’est gravissime. On assiste au retour des grands potentats locaux, la neutralité des fonctionnaires ne sera plus garantie et l’unité de la République sera mise à mal. Alors que ce gouvernement a tout fait pour qu’un accord remettant en cause le CDI dans le privé soit signé, croire que Mme LEBRANCHU veuille, à travers la réforme qu’elle présentera, conforter la Fonction Publique et ses agents nous semble utopique. Refuser d’arrêter les suppressions d’emplois, c’est refuser de pérenniser les missions de la Fonction Publique. A ce titre n’oublions pas ce qui c’est passé à la poste, à France télécom, etc… ».

 

[7] « Guide relatif à la gestion des services d’intérêt économique général ».

 

[8] Voir à ce sujet le texte du M'PEP : « Le piège européen : SSIG, SIEG, SIG et directive services » : http://www.m-pep.org/spip.php?article1989

 

[9] Trois principes :

1 - Un service public doit garantir son accessibilité à l’ensemble de la population.

2 - Un service public est socialisé. Il opère une redistribution des richesses selon des critères politiques définis démocratiquement. Cette redistribution de richesses est à la base de l’idée républicaine de l’égalité en droit. Elle est incompatible avec l’option néolibérale axée sur la marchandisation et la concurrence.

3 - Un service public offre à ses employés un statut qui les protège : la puissance publique doit être exemplaire en tant qu’employeur. Elle doit garantir à son personnel un statut le mettant à l’abri des pressions exercées par les lois du marché dans l’exercice de leur spécialité (notamment la précarité liée au marché de l’emploi)



[10] http://reseau-europeen-droit-sante.blogspot.fr

 

Publié dans Lettre d'infos

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